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The Pan African Music Magazine
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Ballaké Sissoko : au singulier comme au pluriel… le koraïste universel
©Benoit Peverelli

Ballaké Sissoko : au singulier comme au pluriel… le koraïste universel

Le maître de la kora publie un nouvel album, Djourou, où s’étale avec bonheur son art de la conversation musicale. D’Oxmo Puccino à Camille en passant par Salif Keita, Djourou réunit avec goût des artistes de tous horizons autour de sa kora. Interview.

Les djélis d’Afrique occidentale, plus communément nommés griots, sont — on le sait — une caste d’artistes musiciens. Maîtres de la parole, sentinelles des valeurs universelles, conservateurs de la mémoire, ils assurent tout type de médiations, et usent de métaphores et proverbes qui irriguent leurs récits… Descendant de Djéli, Ballaké Sissoko, n’a que treize ans quand il intègre en 1981 l’emblématique Ensemble Instrumental National du Mali (créé en 1961), au sein duquel jouait son défunt père, Djelimady Sissoko. En relevant son géniteur dans la mythique formation musicale, l’adolescent est déjà doté d’une solide pratique de la kora et la tête plutôt pas mal remplie de sagesse.

À 23 ans, il démissionne de l’Ensemble Instrumental pour explorer sa route personnelle. Depuis lors, son chemin en solo n’aura pas pour autant été solitaire, tant Ballaké affectionne les rencontres. D’ailleurs, toutes ces années durant, il n’a jamais oublié le proverbe bambara qui dit : « quand les oiseaux s’envolent en groupe, on entend aisément la musique de leur battement d’ailes… ». Sous d’autres cieux on dirait : « l’union fait la force, la richesse… »

Se rassembler, s’unir et mieux faire entendre l’unicité de la diversité : voilà la profession de foi de Djourou, quatrième album du maestro malien sur le label No Format. Pour tresser cette corde (« djourou » en malinké) qui le relie à ses semblables, Ballaké a convié des invités singuliers, et fait appel aux voix de Salif Kéïta, Oxmo Puccino, Camille, Arthur Teboul et ses amis du groupe Feu ! Chatterton… Après le succès des deux disques en duo avec son complice Vincent Ségal, évidemment présent sur ce nouveau disque (avec le clarinettiste Patrick Messina pour une adaptation euro-mandingue de la Symphonie fantastique de Berlioz), après ses expériences en trio avec le Marocain Driss El Maloumi et le Malgache Rajery, il montre à nouveau combien il excelle dans l’art de la conversation musicale, en réunissant autour de lui et de sa kora des artistes issus des horizons les plus divers, pour des rencontres uniques et résolument poétiques. Avant la sortie de son disque, PAM s’est entretenu avec lui pour évoquer son parcours, et le sens qu’il donne à ce nouveau disque, Djourou.

Interview – Ballaké Sissoko

Ballaké, l’instrument de musique qu’on nomme kora en Français, quel est son nom en langue bamanan ?

En langue Bamanan… disons plutôt en langue Madinkan, c’est « korimbato »… Tu vois, si je dis korimbato, c’est parce que c’est le nom de la calebasse, dans la langue de l’ethnie des Korin. Donc Korimbato, c’est la calebasse de Korin, c’est à dire, la Kora. Sinon, son nom authentique c’est Korimbato…

Le korimbato ou kora en question, c’est l’instrument que tu joues dans ta musique. Où as-tu appris à le jouer ?

J’ai appris à jouer la kora dans la cour familiale… Comment je l’ai appris dans la cour familiale ? J’observais mon père quand il jouait. Mais mon père n’a pas été mon instructeur… Si je veux désigner mes instructeurs, ce serait mon grand-père, mes oncles Sidiki Diabaté (le père de Toumani Diabaté, NDLR), N’Fa Diabaté et Batrou Sékou Kouyaté. J’ai grandi également auprès de tous ceux-là. C’est surtout avec les membres de la grande famille que j’ai appris à jouer. Mais pas particulièrement avec mon père.

©Benoit Peverelli

Mais pourquoi n’as-tu pas fait ton apprentissage avec ton père ?

J’ai d’abord appris à jouer seul, instinctivement en observant mon père. Je savais que je ne serais jamais privé de son savoir-faire… Tu sais, chez nous dans le Mandé, on dit : « la chose que tu as chez toi, la même chose existe ailleurs ». On nous recommande vivement d’aller nous imprégner de ce quelque chose d’ailleurs. En l’acquérant, puis en l’ajoutant à ce qu’on possédait déjà, on obtient un résultat plus riche. Il me fallait donc aller prospecter dehors, auprès d’autre membre de la grande famille…

Tu aimes jouer en solo, et Djourou compte deux morceaux où tu es tout seul. Mais tu as toujours aimé travailler avec d’autres musiciens, et notamment Vincent Segal. Pourquoi aimes-tu tant dialoguer en musique ?

Cette question me plaît beaucoup… C’est quoi la clairvoyance ? Avant d’aller voir ailleurs dans le monde, j’ai d’abord joué avec différents artistes chez moi dans mon pays. J’ai acquis de l’expérience avec ces artistes nationaux. Ensuite, j’ai pensé qu’il serait judicieux d’observer ce qui se fait ailleurs, en dehors de mon pays, m’en imprégner et voir comment le savoir-faire d’ailleurs peut se marier avec celui de mon pays pour faire aller mon art de l’avant. Cela ne veut pas dire que je vais négliger ou oublier mes racines musicales. Non, ce n’est pas ça du tout. Tu sais, la clairvoyance, c’est le mariage des différents savoir-faire qui amplifie tout savoir-faire. Si tu fais évoluer ton savoir-faire, ça ne peut que t’être bénéfique. C’est ça la clairvoyance.

©Benoit Peverelli

Parle-nous de ceux que tu as réunis dans ce projet ?

Tu sais, je ne cultive pas les amitiés du court terme. Je privilégie celles du long cours. L’une de mes premières amitiés ici en Europe, c’est Vincent (Ségal). Et par Vincent, j’ai fait la connaissance d’Oxmo, de Patrick… Quant à Sona Jobarteh, c’est ma nièce. Piers Faccini, c’est à travers Vincent que je l’ai connu aussi. Toutes ces amitiés, je les dois à une personne : Vincent Ségal. Et tout ça, parce qu’on s’apprécie les uns, les autres. C’est la sincérité qui soude les amitiés. Et dans l’amitié, il y a de la compréhension, de la collaboration. Vincent a également tissé de bonnes relations et collaborations à travers moi. Moi j’ai bénéficié de ses relations en Europe, et lui a bénéficié des miennes en Afrique. Et puis, j’avais écouté les œuvres de Camille (que connaît bien d’ailleurs Vincent) et comme Arthur, c’est à travers Laurent Bizot (producteur et patron du label No Format, NDLR) que je les ai rencontrés.

Sur ce nouvel album tu fais une reprise de Salif Kéïta, intitulée « Guelen », pourquoi avoir choisi particulièrement cette composition ?

J’ai découvert « Guelen » un jour sur l’un de ses albums. La chanson m’a énormément plu. Depuis je la joue souvent en solo dans mes concerts.
Un jour, avant la réalisation de Djourou, je suis allé rendre visite à Salif dans son studio à Bamako. Il y avait des étudiants en stage chez lui. J’ai dit à Salif que « Guelen » me plaisait à un point tel que je souhaiterais reprendre son titre dans mon nouvel album. Il m’a dit que je pouvais reprendre son titre sans problème en appuyant sa réponse par une image en langue bambara « Kounadjè guiè-lé léé, ne fana guièlé-lé léé… » (« ma parole est aussi claire que celle de la peau claire de l’albinos que je suis »).
On a tous les deux eu envie de nous offrir un bœuf sur le champ. Les personnes qui s’occupaient du studio ont apprêté les micros, puis Salif et moi nous sommes mis à jouer « Guelen ».
Pourquoi j’ai repris cette chanson de Salif ? D’abord parce que c’est un aîné qui m’a rendu de nombreux services. Au Mali, c’est une personnalité. Je me réjouis donc de pouvoir lui rendre hommage en reprenant l’une de ses compositions. Tu sais, l’interdépendance des humains ne se consolide pas en un jour, c’est une action permanente…
Ensuite, dans notre culture mandingue, « Guelen » c’est la place emblématique où se débattent toutes les grandes questions de la société. C’est l’espace de la parole juste et intègre où les vérités s’accouplent. L’endroit où l’on transcende les désaccords pour faire place aux valeurs profondes de la sagesse, aux valeurs immuables…

©Benoit Peverelli

On a remarqué que le jeu improvisé est courant chez toi. Qu’est-ce qui te fait privilégier l’improvisation ?

Chez nous au pays et ici en occident, ce n’est pas pareil. (sous-entendu, on n’a pas de partitions écrites, NDA). Moi j’ai commencé à jouer avec les « Djéli Mousso » (« les femmes griottes »). Quand tu es débutant, tu dois commencer par « tâtonner », comme on dit en français. Quand on commence à jouer, tu ne connais pas tes repères de jeu à l’avance. Donc moi, j’ai débuté en tâtonnant. L’orchestre peut commencer à jouer et subitement changer de gamme. Si tu n’as pas l’esprit posé, attentif, tu as du mal à te repérer et à trouver ta place. L’exercice d’adaptation au changement permanent de gamme, je l’ai pratiqué de longues années. Résultat, quelles que soient les variations d’un morceau, je m’y retrouve assez facilement. Et cette flexibilité, je l’ai acquise parce qu’au pays, j’ai joué avec divers groupes ethniques : les Bobos, les Senoufos, les Mandinkas, les Peuls, les Koroboros… c’est à travers l’expérience de cette diversités que j’ai appris à m’adapter. Donc, quel que soit le genre, je ne suis pas forcément surpris. À chaque nouvelle situation, je me débrouille pour trouver mes repères…

Ton nouveau disque s’appelle Djourou (La Corde). Pourquoi as-tu choisi ce nom, qu’est-ce qu’il veut dire pour toi ?

« Djourou », c’est une métaphore de l’union de ceux que j’ai réunis afin qu’on soit lié par une même corde pour réaliser quelque chose qui indique le bon chemin à tout un chacun, qu’on soit unis par un bel esprit, pour accomplir l’exhortation de ceux qui nous ont donné la vie.

Djourou, disponible ici sur toutes les plateformes via No Format.

Ballaké Sissoko ft. Sona Jobarteh – Djourou (Official video)
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